lundi 28 mai 2012

Max Payne: incohérence narrative

à chaque épisode, Max souffre un peu plus.
j'aurais pu prendre la plupart des jeux "action aventure" des 10 dernières années, mais le hasard veut qu'arrive tout chaud dans ma Xboite le tout nouveau Max Payne. J'adore ce jeu, quintessence du shooter bien bourrin, et soyons clairs Max Payne 3 est un excellent jeu. Ce qui me fait ricaner dans cet opus - et constitue l'objet de cet article - c'est la pathétique tentative d'utiliser la narration pour justifier l'injustifiable.

Quelle narration? Max Payne est un personnage qui souffre (à droite dans l'armoire des héros mal rasés, en dessous des vengeurs). Il est loin de chez lui, il a perdu sa femme, son enfant, son chien, ses clés, tout ce qu'un personnage qui souffre peut perdre. Il picole comme un trou tellement il souffre, et semble affecté d'un pénible défaut de la vision qui provoque continuellement des déphasages chromatiques à l'écran. Il a du perdre aussi ses lunettes, à moins que ce ne soit la souffrance. Il a un boulot de merde, garde du corps pour des VIP qu'il déteste parce qu'ils s'amusent et ne souffrent même pas. L'auteur du scénario tente, je crois, de passer un message: Max souffre.

Une histoire dont le début n'offre guère plus d'intérêt qu'une fiction France3 - cela s'améliore plus tard - nous met le personnage qui souffre dans une situation de légitime défense de la veuve et de l'orphelin, et le défouraillage de guns peut commencer.

Le joueur, lui, on l'avait un peu oublié depuis le début du jeu, a finalement la partie amusante. Il contrôle Max dans les phases d'action: tunnel / headshot / munitions. A ce grand classique s'ajoute la spécialité de la série: le bullet-time. Rien à redire, c'est du bel ouvrage. On prend plaisir à dessouder dans tous les coins, le jeu est dur mais juste (je ne parle pas pour les miquettes qui jouent en mode easy + visée assistée). La partie aventure, elle, est prise en charge à 100% par max lors d'interminables cinématiques, tout va bien. On n'est jamais surpris, mais je suis heureux de voir que Max nous fait là une bonne suite.

Et pourtant...
Il y a comme un truc qui dérange. Là. au fond de la gorge. Comme une furieuse envie de mâcher un Mentos.
Mais d'où vient ce malaise? Le héros est un gentil, il agit pour une bonne cause. Il est couramment justifié dans notre culture, par les films et les romans, que le héros doive tuer quelques méchants pour sauver - en ordre d'importance croissante- sa peau, sa famille, le monde, l'univers, l'Amérique. C'est un mal nécessaire, alors tuons. Et puis le héros souffre, donc ça va.

Mais voilà le problème: en un jeu, j'ai virtuellement ôté la vie à 1 500 hommes (je suis mort pas mal de fois, ce qui m'a fait repasser mes bastos dans pas mal de mobs). Pour être précis, j'ai éliminé des obstacles, représentés là, pour servir la narration, par des humains mimant les affres de la mort. D'un point de vue gameplay, ne changez rien, c'est parfaitement justifié.

Mais oui: 1 500 victimes, à plus ou moins 100, j'ai fini par demander l'aide de ma fille pour compter. Une bonne moyenne de 134 à l'heure, soit un mécréant qui tombe toute les 27 secondes. Et encore, je ne déduis pas le temps des cinématiques- dans les 5 minutes/pièce - qui ponctuent chaque scène d'action. Et je suis du genre à admirer le décor et à chercher les bonus cachés.
Vous rendez-vous compte? une aventure qui provoquerait 1 500 victimes dans la réalité? Mais qui reste un héros après 1 500 victimes? quelle histoire peut justifier ça? Même aux Thermopyles, en considérant que les Spartiates ont fait tout le boulot à 300 et que les 700 alliés n'ont fait qu'applaudir, on n'arrive pas à la moitié de ce score par tête. Et on était dans un contexte militaire.


Résumons: Nous avons une histoire qui tente de justifier l'assassinat de 1 500 personnes, méthodiquement, l'une après l'autre. Et c'est là tout le côté bancale de l'exercice.
Attention, je ne fais pas là un plaidoyer foireux contre la violence dans les jeux vidéos, vu certains de mes précédant titres, ce serait mal venu. Ce n'est pas du tout le sujet.

Ce qui m'intéresse ici, c'est que l'on ait tenté d'utiliser la narration pour expliquer que l'on reste un héros en dessoudant 1 500 personnes, et que c'est précisément cette tentative qui s'auto-saborde.

Que met Rockstar dans la balance pour justifier ce carnage numérique?
  • Un héros qui souffre: il en a gros sur la patate, ça peut justifier qu'il s'énerve.
  • C'est un Américain, donc un héros et donc il a un flingue. C'est quand même mieux que de monter à la filoche avec un couteau à beurre.
  • Il picole. Sérieusement? quel est le rapport? on doit bien passer 30 minutes de cinématiques à le voir boire. Qu'est ce que ça a à voir avec tuer des gens? 
  • Il n'a plus rien à perdre, même pas ses clés, ce qui doit rendre crédible son absence de remord efficace.
  • Les méchants sont des pauvres, même pas américains, ça doit compter moins.
  • Il est payé pour faire le job, c'est sa mission, et en chemin, il y a une fille à sauver et un complot à déjouer. C'est original.
Dans l'autre plateau de la balance on a ... 1 500 morts. Rien à faire, cela ferait tout de même de Max le pire tueur sadique et psychopathe de la création dans le monde réel.
Imaginez la scène devant le juge:
- c'était pour sauver la fille de mon employeur, M. le juge.
- oui mais quand même, 1500 morts...
- oui, j'en souffre moi même. Mais c'était des pauvres M le juge.
- Ah bon! alors ça va. Je vous relaxe.
Impenssable dans la réalité. Alors pourquoi justement tenter de rendre Max réel? Car au fond le seul problème est là. Et pourtant aucun effort narratif n'est épargné pour cela: le personnage est montré avec une conscience, une profondeur psychologique (il souffre), une histoire, un passé rappelé à coups de flashbacks, une famille, qui ne bouge plus beaucoup, certes, mais très présente dans l'histoire. On fait tout pour le rendre humain. Et c'est justement lorsque l'on marche dans la combine que tout dérape. S'il est humain, avec une histoire, une famille, des clés de bagnole, alors ses adversaires, avant même d'être des vilains, ce sont aussi des humains.

C'est en humanisant le héros que l'on humanise ses adversaires.

Tout va bien, rien d'anormal dans la narration...


Si Max avait été un gros psychopathe, un taré de première, le jeu aurait en définitive été un jeu de rôle où il aurait été amusant de se mettre dans la peau d'un tueur de masse, de prendre des décisions en épousant ses motivations. Normal quoi. Moralement discutable, mais bon pour le jeu. Cela fonctionne très bien avec Kratos, indétrônable number one des badass du jeu vidéo.

Une autre solution consiste à ajouter des options à ses actions. Par exemple dans Infamous, le fait de pouvoir aussi guérir des gens équilibre la morale du héros. Cela ne compense pas mathématiquement les victime que l'on empile, mais la différence du décompte résultant des choix du joueur, c'est lui qui endosse la responsabilité du massacre et le héros reste un héros.

En conclusion, l'erreur -assez minime, relativisons- de Rockstar a probablement été de tenter de sauver l'honneur de son héros-licence à moindre effort. De tenter de faire d'un gros psychopathe un héros juste en ajoutant des cinématiques. Ce n'est pas très grave, si ce n'est que le budget vainement évaporé dans ces moments inutiles, voir souvent pénibles ( pitié, on ne fait pas du Tony Scott juste en programmant des shaders et en lui piquant trois effets de caméra) aurait bien mieux servi à faire une IA meilleure ou des niveaux et des personnages supplémentaires. Peut être même il aurait permis d'enfin améliorer ce moteur d'animations pour éviter que tout le monde semble sorti d'une botox-party, tout ce qui aurait pu amener le jeu à des sommets (et éviter les 28Go de la version PC)
Imaginons: auraient-ils vendu un seul exemplaire de moins si le jeu n'avait eu aucune de ces cinématiques? Des dessins fixes avec une voix off auraient amplement suffi pour que la presse généraliste s'esbaudisse sur la profondeur et la noirceur de l'histoire... oh mais c'est vrai! c’était comme ça dans le Max Payne 1 et 2.


Le personnage jouable est ici utilisé comme une charnière entre la narration, voulue positive dans le sens où Max y est placé en héros, et l'interaction, qui est une véritable Saint Barthélémy. Mais là il devient le seul problème de ce jeu. On ne peut décemment pas adhérer à cet individu qui occis méthodiquement plus d'un millier de personnes en se la jouant victime. Pas de bol pour Max, sa mission de charnière est juste impossible. Comme vu dans l'article sur Journey, ici la narration et l'action ne racontent juste pas la même histoire. Résultat: Max est trop malsain par ses actions pour être une idole, trop propre et moral par sa narration pour devenir un symbole de violence assumée. En ne lui choisissant pas un camp, Rockstar laisse Max dans le no-man's land du héros vite oublié. Dommage.



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